Le temps qui peint, La rose bleue
Mexico 1997
Commissaire de l’exposition : Ruben Marin-Lopez
Le temps qui peint
La rose bleue
Merci à Marie Noëlle Abel pour avoir retouché les photos
Le plus ancien des critiques d’art, Philostrate, a exposé ses idées sur la peinture. Dans la « Vie d’Apollonios de Tyane », il suppose, un moment, Apollonios discutant avec son disciple Damis :
« Damis : Ce que nous voyons dans le ciel, alors que les nuages, se séparent, forment des centaures, des chimères, et même, par Zeus ! des loups et des chevaux, ne sont-ce pas là des œuvres d’imitation ?
Apollonios : Apparemment.- Zeus est donc peintre, Damis ? Il quitte donc le char ailé sur lequel il s’en va réglant toutes les choses divines et humaines, pour s’amuser à peindre des bagatelles, comme des enfants sur le sable ? Damis rougit en voyant à quelle absurde conséquence aboutissait sa proposition…
Apollonios : Ne veux-tu pas dire plutôt, Damis, que ces nuages courent au hasard à travers le ciel, sans rien représenter, du moins sans que Zeus en ait voulu faire des images, et que c’est nous, portés comme nous sommes à l’imitation, qui imaginons et créons ces images ? »
Ainsi, « les nuages courent à travers le ciel sans rien représenter » et c’est nous qui imaginons et créons ces images ? Et nous nous obstinons, nous autres, en créant des images à donner du sens au monde qui, bien sûr, n’en a strictement aucun (autant dire que nos images créent sans cesse le monde et mieux encore le supportent) ; et il est évident que toutes nos formes sont en nombre fini, cruellement pauvres et se répètent depuis la nuit des temps – permanence de groupes de formes, similaires ou quasi – à travers le temps et l’espace, bref, ce qui pourrait se nommer des invariants. Des sortes de « vaisseaux fantômes », qui apparaissent un jour, disparaissent, puis réapparaissent selon la flèche du temps, le même habit supportant – mais pas toujours – différents discours – des invariants iconiques.
La physique quantique et la mathématique, constatent aujourd’hui leur impuissance à atteindre un réel qui fuit (selon l’admirable formule de Jean-Toussaint Desanti), – tels les fameux nuages devant notre regard…Et le roseau hélas pensant admet peu à peu avec un certain malaise, que toutes ces représentations, ces cartes conceptuelles de la soi-disant réalité sont une projection de son corps noué inextricablement au langage – organisation biologique nouée au symbolique et, au niveau atomique, mystérieusement en relation avec l’Univers.
Alors, vous dirais-je, pourquoi ne laisserais-je pas le Temps peindre à ma place ? Et même, pourquoi ne le laisserais-je pas témoigner à son gré d’une trace de réel, une Rose bleue ?
Jean-François CHABAUD
Paris, le 10 Novembre 1997